Palm Pilot PDA : histoire d'un bloc de bois devenu culte (guide collector 2025)
Avant qu'on scotche sa vie entière sur un smartphone, il y avait ce truc rectangulaire avec un stylet qui faisait passer son propriétaire pour James Bond en réunion. Le Palm Pilot, ce PDA qui a convaincu une génération entière qu'écrire avec un alphabet inventé sur un écran monochrome était le futur.
Spoiler : ils n'avaient pas complètement tort.
Le PDA qui a commencé sa vie comme un bout de bois
L'histoire du Palm Pilot commence par une légende tech tellement absurde qu'elle est véridique. En 1995, Jeff Hawkins - cofondateur de Palm Computing - se trimballe pendant des semaines avec un bloc de bois dans sa poche de chemise. Pas une maquette sophistiquée, non : un vrai morceau de bois sculpté, accompagné d'une baguette chinoise taillée en guise de stylet.

Dans les réunions, quand on lui proposait un rendez-vous, il sortait son bout de bois et tapotait dessus en faisant semblant de consulter son agenda. Ses collègues le prenaient probablement pour un doux dingue, mais Hawkins testait une hypothèse simple : est-ce que les gens accepteraient de transporter ce format dans leur quotidien ?
Ce bloc de bois est aujourd'hui exposé au Computer History Museum de Mountain View. Un bout de bois au musée. La tech, c'est beau.
Mars 1996 : la révolution tient dans une poche de chemise
Le Pilot 1000 et le Pilot 5000 débarquent en mars 1996 au CeBIT de Hanovre. Prix d'attaque : 299$ et 399$. Pour situer, c'était le prix d'un MITS Altair en 1974 - le premier PC en kit. L'ironie de l'histoire, c'est que vingt ans séparent ces deux appareils mais ils coûtaient pareil.
Les specs qui tuaient en 1996 :
- Processeur Motorola 68328 à 16 MHz (oui, méga, pas giga)
- 128 Ko de RAM pour le 1000, 512 Ko pour le 5000 (vos photos Instagram font 50 fois cette taille)
- Écran monochrome 160x160 pixels tactile
- Deux piles AAA qui tenaient des semaines
- 4 applications natives : agenda, contacts, mémos, to-do list
- Système d'exploitation Palm OS 1.0
- Dimensions : 120x80x18 mm, 160 grammes

Le coup de génie ? Ne pas essayer de remplacer l'ordinateur. Contrairement à l'Apple Newton (lancé à 699$ en 1993, soit 1500$ d'aujourd'hui) qui voulait tout faire et se plantait magnifiquement, le Palm Pilot assumait ses limites. C'était un complément mobile de votre PC, point barre.
Résultat : 350 000 exemplaires vendus avant la fin 1996. Un million d'unités en 18 mois. Pour une adoption aussi rapide, il faut remonter à la télévision couleur.
Graffiti : l'alphabet qui rendait dingue (mais qui marchait)
Parlons du truc le plus WTF du Palm Pilot : Graffiti, son système de reconnaissance d'écriture. Plutôt que de tenter de déchiffrer votre pattes de mouche comme le Newton d'Apple (qui se faisait ridiculiser dans Les Simpson pour ça), Palm a eu une idée radicale : inventer un nouvel alphabet simplifié.
Le principe : des lettres tracées d'un seul trait, modifiées pour être reconnaissables à 100% par la machine. Le "A" perdait sa barre, le "F" ressemblait à une canne, le "e" se traçait comme un "c" retourné. Il fallait 3 minutes pour comprendre le système, une semaine pour le maîtriser.
Zone de saisie divisée en deux : lettres à gauche, chiffres à droite. Une fois habitué, vous écriviez sans regarder l'écran, les yeux sur votre interlocuteur. Les experts atteignaient 40 mots par minute.

L'anecdote juridique savoureuse : Graffiti était "inspiré" du système Unistrokes développé par Xerox. Inspiré façon "on va dire ça comme ça". Xerox dépose un brevet en octobre 1993, Palm sort le Pilot avec Graffiti en avril 1996. Procès, bataille juridique pendant des années. En décembre 2001, Palm perd le procès et doit payer des royalties à Xerox. Le Graffiti 2 qui suit est une version modifiée pour contourner le brevet.
Le procès du stylo (non, vraiment)
1996 : Palm sort le "Pilot". Succès immédiat. 1997 : La société de stylos Pilot (la marque française, oui) attaque en justice. Leur argument ? Les consommateurs risquent de confondre un PDA avec un stylo à bille.
Laissez ça infuser une seconde. Un appareil électronique avec un stylet en plastique confondu avec un tube rempli d'encre.
Le Pilot devient donc "PalmPilot" (un seul mot) en 1997. Pilot Pen n'est toujours pas content. En 1998, après le rachat de US Robotics par 3Com, accord à l'amiable : plus jamais le mot "Pilot" dans le nom. Le Palm III arrive cette année-là.
Contre-attaque de Palm : En 1998, Palm poursuit Microsoft qui avait lancé le "PalmPC". Microsoft renomme en "Palm-size PC" puis finalement "Pocket PC". Qui dit qu'on n'apprend pas de ses ennemis ?
L'âge d'or des palmeurs (1997-2005)
Entre 1996 et 2002, Palm vend 23 millions d'unités. Le terme "palmeur" entre dans le langage courant pour désigner les utilisateurs. À l'époque, sortir son Palm en réunion était l'équivalent de claquer un MacBook Pro M3 aujourd'hui sur la table du Starbucks.

Les modèles cultes :
Palm III (1998) - 399$
- Premier avec port infrarouge
- 2 Mo de mémoire (énorme pour l'époque)
- Rétroéclairage vert fluo qui faisait son effet dans le noir
- Pile AAA standard (10-15 minutes de réserve pour changer les piles sans perdre les données)
Palm V (1999) - 449$
- Le design icon : aluminium brossé, lignes épurées
- Première batterie lithium-ion rechargeable non amovible (révolutionnaire en 1999)
- Design sans vis apparentes : tout collé (pari risqué mais réussi)
- L'iPhone avant l'iPhone au niveau esthétique
Palm IIIc (2000) - 449$
- Premier Palm avec écran couleur
- 8 Mo de RAM
- Écran TFT 160x160 pixels
- Batterie rechargeable
Palm Tungsten (2002+)
- Passage aux processeurs ARM
- Écran 320x320 pixels haute résolution
- Bluetooth, WiFi sur certains modèles
- Prix : 200-400$ selon versions
Ce que le Palm dit de nous (le point socio)
Le Palm Pilot arrive exactement au moment où on commence à croire qu'on peut être productif partout. Plus besoin de rentrer au bureau pour accéder à son agenda. L'information devient portable, synchronisable, toujours à jour.
Trois observations sociologiques :
1. La fin de la secrétaire de direction Avant le Palm, les cadres avaient des assistantes qui géraient leur agenda, prenaient des notes, organisaient leur vie. Le Palm transforme le cadre en son propre assistant. On appelait ça le "progrès". Les assistantes de direction, elles, ont eu un autre terme pour ça.
2. Le début de l'addiction à la productivité Le Palm introduit l'idée qu'on peut être hyper-organisé en permanence. To-do lists numériques, rappels qui bipent, synchronisation obsessionnelle. On n'appelait pas encore ça du "productivity porn", mais c'était exactement ça.
3. Le frimeur geek prototype Sortir son Palm en réunion en 1998, c'était le flex ultime. Tu notais des trucs pendant que les autres sortaient leur Bic sur leur Clairefontaine. Tu synchronisais avec ton PC de bureau. Tu avais 200 contacts dans ta poche. Tu étais celui qui vivait dans le futur.
Aujourd'hui, tout le monde fait ça avec son smartphone sans même y penser. Le Palm a normalisé l'idée qu'on peut avoir un ordinateur dans la poche. Steve Jobs n'a fait qu'ajouter un téléphone, un iPod et internet à ce concept.
Pourquoi ça a planté : le drame en plusieurs actes
L'histoire de Palm après 2005 est une soap opera corporate digne de Dynasty.

Le départ des fondateurs (1998) : Hawkins, Dubinsky et Colligan quittent Palm (alors filiale de 3Com) parce qu'ils n'ont plus le contrôle. Ils créent Handspring, qui sort le Visor sous licence Palm OS. Palm se fait concurrencer par ses propres créateurs. Poétique.
La réunification (2003) : Palm rachète Handspring. Les trois mousquetaires sont de retour. Tout va bien.
Le split schizophrène (2003) : Palm se divise en deux entités : PalmOne (le matériel) et PalmSource (le logiciel). Parce que c'est toujours une bonne idée de se couper en deux quand tout va bien.
Le Treo 700w (2006) : Premier Palm sous Windows Mobile au lieu de Palm OS. Palm abandonne son propre OS. C'est comme si Ferrari décidait de mettre des moteurs Renault dans ses voitures.
L'arrivée de l'iPhone (2007) : Game over. Le smartphone moderne arrive. Palm essaie de riposter avec le Pre et WebOS (génial mais trop tard), mais c'est terminé.
HP achète Palm (2010) : 1,2 milliards de dollars. HP tue webOS en 2011. La TouchPad ne dure que 6 semaines en vente avant d'être bradée.
TCL achète la marque (2014) : Tentative de resurrection en 2018 avec un mini-smartphone. Échec commercial.

Le marché collector aujourd'hui : combien ça vaut ?
Contrairement aux vieux Mac et ThinkPad qui se vendent des fortunes, les Palm restent abordables. C'est le moment d'acheter si vous voulez collectionner.
Prix constatés en 2024-2025 (eBay, Leboncoin) :
Pilot 1000/5000 (1996)
- État moyen : 15-30€
- Excellent état avec boîte : 40-80€
- Attention : vérifier l'état de l'écran (jaunissement fréquent)
PalmPilot Personal/Professional (1997)
- Fonctionnel : 20-40€
- Avec accessoires et boîte : 50-90€
Palm III/IIIx/IIIe (1998-2000)
- Le plus courant, donc le moins cher
- État de marche : 10-25€
- Complet en boîte : 40-70€
Palm V (1999)
- Le plus recherché par les collectionneurs
- Fonctionnel : 30-60€
- Excellent état avec cradle d'origine : 80-150€
- Neuf jamais ouvert (rare) : 200-300€
Palm IIIc (2000)
- Premier couleur, plus rare
- État moyen : 25-45€
- Très bon état : 60-100€
Palm Tungsten E2/T3/T5 (2002-2005)
- Les plus récents, encore assez courants
- Fonctionnel : 15-40€
- Excellent état : 50-80€
Palm Treo (smartphones, 2002-2010)
- Fonctionnel : 20-50€
- Collection complète avec boîte : 60-120€
Accessoires recherchés :
- Cradle/station HotSync : 10-25€
- Claviers pliables : 15-40€
- Cartes mémoire vintage : 5-15€
- Étuis en cuir d'origine : 10-30€
Le conseil collector : Privilégiez les modèles avec rétroéclairage fonctionnel. C'est le problème le plus fréquent. Vérifiez aussi que l'écran tactile répond bien et que la zone Graffiti n'est pas rayée.
Les applications qui changeaient la vie
Palm OS avait un écosystème d'applications avant que le mot "écosystème" soit à la mode. À son apogée (vers 2002), il y avait 70 000 développeurs contre seulement 200 pour Windows Mobile.
Les apps cultes :
- AvantGo : navigation web hors ligne (révolutionnaire en 2000)
- Documents To Go : lire des Word et Excel sur Palm
- TCPMP : lecteur vidéo (oui, regarder des vidéos sur un écran 160x160)
- Games : Solitaire, Bejeweled, même des portages de Doom
- eReader : lire des ebooks avant le Kindle
Beaucoup d'applications sont maintenant disponibles sur Internet Archive. Oui, vous pouvez encore installer des softs sur votre vieux Palm en 2025. La magie de l'abandonware.
Pourquoi certains l'utilisent encore en 2025
Il existe une communauté de gens qui utilisent toujours leur Palm au quotidien. Pas par nostalgie creuse, mais parce que l'appareil fait exactement ce qu'il promet : gérer des contacts, un agenda, des to-do lists. Sans notifications Instagram, sans emails qui arrivent, sans rabbit hole YouTube à 23h.
Les arguments des irréductibles :
- Autonomie : Un mois avec une charge (Palm V avec batterie changée)
- Focus : Zéro distraction, l'appareil fait une chose et la fait bien
- Écriture rapide : Graffiti reste très efficace une fois maîtrisé
- Prix ridicule : Moins de 50€ pour un appareil qui marche
- Déconnexion choisie : Le Palm comme appareil secondaire anti-addiction
C'est l'ancêtre du "dumbphone" : un appareil volontairement limité pour se protéger de la surcharge cognitive du smartphone moderne.
Ce que le Palm nous a légué
Sans le Palm Pilot, pas d'iPhone. Point. Le Palm a établi :
- Le format poche pour appareil mobile
- L'écran tactile comme interface principale
- La synchronisation transparente avec l'ordinateur
- Le concept d'app store (même si primitif)
- L'idée qu'on peut tout avoir dans sa poche
L'iPhone n'a pas inventé le smartphone. Il a juste ajouté un téléphone, internet mobile et un meilleur écran au concept que Palm avait validé dix ans plus tôt.
Le bloc de bois était visionnaire
Revenons au bloc de bois de Jeff Hawkins. Cette anecdote résume tout : avant de construire le produit, il a testé le concept. Pas la technologie, pas les fonctionnalités - le concept pur.
Est-ce que les gens porteraient ce format ? L'utiliseraient-ils vraiment ? À quelle fréquence ?
Hawkins a découvert en quelques semaines qu'il utiliserait principalement quatre fonctions : agenda, contacts, mémos, to-do. Le Pilot a été conçu autour de ce constat simple. Pas d'features pour faire joli, juste l'essentiel.
C'est exactement l'inverse de ce qu'Apple avait fait avec le Newton (trop de features, trop cher, trop encombrant, trop ambitieux). Le Newton a planté. Le Pilot a vendu un million d'unités en 18 mois.
La leçon ? Parfois, moins c'est vraiment plus.
Verdict : faut-il collectionner le Palm en 2025 ?
OUI si :
- Vous aimez l'histoire de la tech mobile
- Vous cherchez un objet vintage abordable
- Vous voulez comprendre d'où vient le smartphone
- Vous testez une déconnexion partielle
NON si :
- Vous cherchez un objet rare qui prendra de la valeur (trop commun)
- Vous voulez quelque chose d'immédiatement utilisable (les batteries sont à changer)
- Vous préférez les consoles ou appareils photo vintage
Le Palm Pilot occupe une place bizarre dans l'histoire tech : absolument révolutionnaire en son temps, complètement oublié aujourd'hui. C'est le dinosaure qui a permis l'évolution des mammifères. Nécessaire, pionnier, mais éteint.
Sauf que contrairement aux dinosaures, vous pouvez encore acheter un Palm fonctionnel pour le prix d'un menu McDo. Et ça, c'est quand même assez cool.